La Sainterie de Vendeuvre-sur-Barse est une manufacture d’art chrétien, essentiellement catholique, produisant des œuvres en terre cuite destinées à la décoration des édifices chrétiens (statues, autels, fonts baptismaux…). La manufacture a participé à l’élaboration de l’art dit sulpicien. Elle connaît un grand succès à la fin du XIXème siècle[1].
Naissance | Paris |
---|---|
Décès | Paris |
Nationalité |
Français |
Activités |
Sculpteur |
Autres activités |
directeur de la Sainterie de Vendeuvre-sur-Barse |
Élève | |
Distinctions |
Avocat de Saint Pierre |
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Elle est fondée en 1842 par Léon Moynet, artiste et homme d’affaires visionnaire. Si au début de sa carrière, son entreprise se résume à lui et à ses œuvres produites dans une grange isolée, il crée ensuite des modèles, industrialise progressivement la production, recrute des ouvriers et des sculpteurs, dont certains deviendront célèbres, et se lance dans des techniques publicitaires innovantes.
À sa mort, l’entreprise est reprise par Honoré Nicot, son comptable, et se transmet dans la famille de ce dernier pendant deux générations.[1],[2]
Au XXème siècle, face aux critiques des intellectuels et à l’évolution des goûts, la fabrique renouvelle sa production et se tourne vers la modernité. Elle délaisse également progressivement les œuvres religieuses aux profits des œuvres profanes. La production des Saints s’arrête néanmoins en 1961 à la veille du concile Vatican II[2].
Jean Jules, dit Léon, Moynet est né à Paris en 1818. Il est le fils d’un couple de commerçants. À Besançon, il étudie les rudiments de l’art comme la géométrie, le dessin et l’anatomie puis, à Paris, et jusqu'à l'âge de vingt ans, il étudie la sculpture sous la direction de Monsieur Valois de l’institut[3],[4].
En 1838, il s'installe à Troyes, où il a rencontré le sculpteur François Joseph Valtat qui lui a confié la création d’une quarantaine de statues[3],[4].
En 1841, 1843 et 1845, il participe à des expositions troyennes où ses œuvres sont remarquées et appréciées. Ses sculptures d’anges attirent l’attention. Il affiche sa volonté de respecter l’orthodoxie religieuse dans son art[5].
En 1842, il reçoit la commande de deux autels latéraux pour l’église de Magny-Fouchard. De style gothique, ils sont habités par de nombreuses statues et statuettes de saints et d’anges qu’il fait cuire à 8 km de là, chez un potier à Amance, avant de les décorer et de les peindre. Didron fait l’éloge de son travail dans les annales archéologiques.
De 1842 à 1851, son travail est accaparé par la fabrication de plusieurs autels pour des églises de l’Aube[5].
Vers 1844-1845, il installe son atelier à quelques kilomètres de Magny-Fouchard, à Vendeuvre, dans une ancienne grange au milieu des vignes et vit là-bas, seul, dans des conditions spartiates. Il se consacre ainsi entièrement à son art et veut « rénover la statuaire religieuse ». Il crée des statues en terre cuite qu'il reproduit par moulage, travaillant pendant plusieurs années à parfaire ses modèles et surtout, à rendre les moules réutilisables.[6]
À partir de 1851, il délaisse progressivement la fabrication des autels et retables pour se concentrer sur la production de statues. Il crée des modèles et commence à standardiser ses œuvres. Le processus d'industrialisation (c'est-à-dire de production en série) est en marche.
Dans les années 1860, il édite des catalogues d’abord diffusés dans l’Aube puis nationalement (13 entre 1862 et 1866)[7].
Léon Moynet fait édifier un véritable bâtiment industriel vers 1865 et recrute des sculpteurs pour développer et renouveler son offre.
À partir de 1867, ses œuvres se vendent autour de la place Saint Sulpice. Sa zone de chalandise est désormais nationale[7], d'autant plus qu'il se constitue un réseau de points de vente.
Il reçoit le titre d’avocat de Saint Pierre du pape Pie IX. En 1878, ne parvenant pas à obtenir la surface qu’il souhaite à l’exposition universelle de Paris, il crée une exposition permanente dans un bâtiment de son usine, le « Paradis »[7].
Moynet prend sa retraite en 1890. Il cède alors l’affaire à son comptable Honoré Nicot contre une rente viagère de 12 000 francs annuelle puis s’installe à Paris. Il y meurt en 1892[8],[7].
Honoré Nicot développe l’entreprise et l’offre des produits. La production s’accroit. Des débouchés à l’international apparaissent. L'entreprise est à son apogée.
D'après les publicités, elle aurait employé 100 salariés et produit jusqu'à 15 000 statues par an[8],[7]. Ces chiffres semblent toutefois a posteriori fortement exagérés, les moyens techniques ne permettant pas une telle production.
En 1900, l'entreprise participe à l'exposition universelle de Paris. Elle y présente une sculpture représentant "le Christ élevant les bras pour appeler les bénédictions du ciel sur la terre". L'œuvre obtient la mention "honorable" décernée par la Commission internationale et vaut à Honoré Nicot la distinction d’ "Avocat de Saint Pierre", attribuée par le pape Saint Pie X[8],[9]. Le Christ récompensé trône désormais au centre du Paradis.
Nicot décède en 1905, année de la séparation de l’Église et de l’État[7]. Cette dernière est un coup dur pour la Sainterie qui voit indirectement ses sources de revenus diminuées.
Son fils Henri Nicot reprend le flambeau. En 1909, le catalogue est traduit en anglais. Les ventes à l'étranger permettent de compenser les pertes de commande dues à la séparation de l’Église et de l’État.
En 1914, il est mobilisé. L'usine est réquisitionnée par l'armée française. Il meurt aux champs d’honneur en juillet 1918[7].
La veuve d’Henri prend la direction de la société pendant 18 ans et, après la guerre, développe une activité de création de monuments aux morts et de plaques commémoratives[7]. À la même époque, les critiques envers l’art sulpicien s’intensifient et l’Église et les intellectuels encouragent la création d’un art nouveau.
René Nicot, fils d’Henri, prend la direction de la société en 1936. Il travaille avec des sculpteurs de talents œuvrant dans un style moderne. Il développe aussi une branche d’œuvres profanes.[7]
Durant la seconde guerre mondiale, l’usine est touchée et subit des dégâts. Une fois la paix revenue, Nicot lance la fabrication du « carreau flammé »[7]. Ces carreaux de céramique en forme de trapèze sont utilisés comme revêtement décoratif sur les bâtiments.
La production des Saints cesse en 1961. Dans les années qui suivent, les collections restantes du Paradis (moules, statues, mobiliers…) sont rachetées par le Conseil Général. Le Paradis est détruit en 1982[7].
Toutes les œuvres de la Sainterie sont en terre cuite. L'argile est extraite localement. Les statues mesurent de 25 cm à 2 m environ[8].
La température de cuisson est de 900 °C pour les statues d'intérieur et de 1 400 °C pour les statues destinées à l'extérieur. Ces dernières sont également plus épaisses que celles d'intérieur et sont dites "en terre de fer". Leur résistance provient de l'argile ferrugineuse extraite sur place[8].
La première étape de la fabrication d'une œuvre est la création d’un modèle original en terre, œuvre de Moynet ou de sculpteurs salariés de l’entreprise. Puis un moule en plâtre de cet original est fabriqué. On réalise ensuite l’estampage (application à la main de la terre sur toute la surface intérieure du moule), le séchage, le démoulage et la phase de retouche. On pose par la suite les bras, jambes et attributs avec de la " barbotine ". L'œuvre est poncée puis cuite au charbon durant 50 heures. Après refroidissement, une phase de contrôle a lieu. L'œuvre est ensuite décorée selon la volonté du client par des peintres expérimentés[8].
Il est à noter qu'au cours de l'histoire de la Sainterie aucune statue n'a été produite avec un matériel mécanique. La fabrication est toujours restée manuelle même lors du passage, réalisé par Léon Moynet, du mode artisanal au mode industriel, c’est-à-dire à la production en série[8].
L’appellation « Sainterie » n’a rien d’officiel. Ce sont les salariés et les habitants de la région qui l'ont créée[8],[10]. Elle s’est imposée sur les cartes postales, les articles de presse et dans la mémoire collective locale.
Moynet se présente principalement comme « Léon Moynet, statuaire », parfois curieusement allongée en « Statuaire d’Histoire Religieuse ». À cela, il ajoute parfois « Avocat de Saint Pierre » pour se valoriser auprès de sa clientèle catholique. Certaines publicités font précéder son nom de la mention « Art Chrétien » et la Sainterie est dénommée logiquement « Manufacture d’Art Chrétien ».
Honoré et Henri Nicot font de même et utilise parfois l’expression « Maison H.Nicot », H étant l'initiale du prénom du dirigeant. Les locaux de la Sainterie sont appelées prosaïquement "Ateliers de Sculpture en Terre Cuite".
Le mot « Sainterie » est particulièrement intéressant car il souligne l’aspect manufacturier de la production après les années 1860. Rappelons que, jusqu’à cette époque, les œuvres produites en nombre très faible, sont les créations et les fabrications exclusives d’un seul sculpteur, Moynet. De ce fait, certains réservent le mot "Sainterie" pour la période postérieure à 1860 et parle de l'œuvre du sculpteur Léon Moynet pour la période antérieure.
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L'association ArTho (Argilière du Thoais) qui met en évidence les richesses culturelles de Vendeuvre et de ses environs, organise occasionnellement des expositions sur la Sainterie. Elle approfondit et vulgarise les connaissances concernant l'histoire de cette manufacture (ses hommes, ses techniques et ses productions) et elle propose des animations pour mieux faire connaître ce patrimoine[11]. De plus, elle met en ligne gratuitement de la documentation accessible à tous comme des catalogues anciens (cf. Bibliographie). Enfin, via Wiki Commons, elle a constitué un répertoire illustré de statues encore actuellement présentes en France et dans le monde.
Un projet de musée avec exposition permanente est actuellement en cours d'étude. L'idée, qui remonte aux années 1970, n'a malheureusement pas pu se concrétiser jusqu'à aujourd'hui[12]. Le financement de ce futur musée reste problématique et la volonté réelle des politiques, malgré des annonces et des engagements répétés, reste fluctuante.
Extraits d’une lettre de Léon Moynet de 1877[13] :
« La création de mon établissement artistique date de 35 ans. Sur ce chiffre il a fallu, pour étudier tous les moyens de reproduction en terre, de cuisson, de décoration, d’ordre, d’administration, une silencieuse élaboration de 18 ans. Après quoi, cet établissement artistique et industriel prit un essor assez rapide et devint, à la fin de la seconde période et successivement, ce qu’il est aujourd’hui.
Avec un personnel toujours croissant d’ouvriers, qui est actuellement de 80, il se fabrique à peu près 1000 statues par mois, dont 6 à 800 s’envoient dans toutes les directions à l’adresse du clergé français et étranger. Ma clientèle étrangère embrasse à peu près toutes les parties du monde catholique.
Le commerce français s’empare à présent d’une bonne partie des produits de ma maison…
C’est pourquoi j’ai toujours soin de tenir en magasin un supplément de 4000 statues…
Tous les modèles de statues, consoles et pinacles de tous styles sont traités à l’établissement même. Donc un personnel d’artistes sculpteurs est compris dans le chiffre ci-dessus, ainsi qu’une trentaine de décorateurs de talent pour décorer de magnifiques ornements, les vêtements des saints…
Plusieurs mouleurs sont occupés à la confection des moules servant à reproduire les statues.
La quantité de plâtre fin employé au moulage monte à 100 000 kilos par an. Une usine à vapeur, affectée à la fabrication de ce plâtre, est montée dans l’établissement même…
L’établissement m’appartient…je suis à même de vendre très bon marché. C’est ce que je fais pour mettre mes produits à la portée de toutes les bourses. »
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L'entreprise a édité au cours de son existence une trentaine de catalogue. L'association ArTho en a numérisé deux qui sont désormais accessibles à tous via Wikicommons :