Le monument à Jeanne d'Arc est une statue équestre en bronze représentant Jeanne d'Arc en armure, initialement érigée à Alger avant que l'indépendance de l'Algérie ne conduise à la transférer à Vaucouleurs, dans le département de la Meuse, en Lorraine.
Pour les articles homonymes, voir Statue de Jeanne d'Arc.
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Commandée par la France pour exalter son patriotisme dans sa colonie algérienne, la statue est réalisée en 1939 par Georges Halbout du Tanney, un sculpteur français installé sur place. Mais sa fonte, qui doit avoir lieu à Paris, prend du retard en raison de la Seconde Guerre mondiale, et elle n'est inaugurée à Alger qu'en 1951.
Les Algériens, aux premiers jours de leur indépendance en 1962, épargnent et se réapproprient la statue. Mais elle est ensuite détériorée, si bien que la France la récupère pour la réparer, avant de l'inaugurer en 1966 à Vaucouleurs, où l'épopée de Jeanne d'Arc a commencé.
La ville voit ainsi concrétisé son souhait d'ériger une telle statue, après l'échec de plusieurs projets nés sur fond d'engouement pour Jeanne d'Arc dans le pays, dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Vaucouleurs étant connue comme « la cité qui arma Jeanne d'Arc », l'idée d'y ériger un monument en l'honneur de l'héroïne remonte au milieu du XIXe siècle.
Dans une délibération du , le maire M. Burnot[2] et son conseil municipal décident d'ériger une statue de Jeanne d'Arc sur une place de la ville[3],[4],[5]. Dans ce but, il vote une subvention de 10 000 francs et demande au gouvernement l'autorisation d'ouvrir une souscription publique[2]. Celle-ci récolte 50 000 francs[6], dont 5 000 francs du conseil général de la Meuse et 5 000 francs du conseil général des Vosges[2].
Un concours est organisé afin de choisir un sculpteur, auquel concourent plusieurs artistes parisiens renommés (dont Bartholdi, Carrier-Belleuse, Daumas, Debay fils[alpha 1], Vital-Dubray et Robert)[7]. Mais le maire leur préfère deux sculpteurs lorrains, Antoine Watrinelle de Verdun, et Georges Clère de Nancy, ce qui entraîne une réclamation pour favoritisme auprès du Conseil des bâtiments civils, puis des procédures judiciaires[6]. Dans ces conditions, le projet n'aboutit pas[1].
Le projet est relancé en 1869 par une visite à Vaucouleurs de Félix Dupanloup, évêque d'Orléans (ville libérée par Jeanne d'Arc), qui qualifie de « crime national » l'état de dégradation de la chapelle où Jeanne d'Arc a prié, et l'absence d'une statue en son honneur[2]. Le , le conseil municipal décide « qu'il sera érigé à Vaucouleurs une statue équestre à Jeanne d'Arc ; que tous les lieux ou monuments pouvant rappeler sa mémoire seront recherchés, rétablis et restaurés et qu'il sera pourvu aux dépenses de ces travaux au moyen d'une souscription publique »[2]. Une commission est nommée dans ce but, mais le déclenchement de la guerre franco-allemande de 1870 met un terme au projet[2].
Un comité est créé au milieu des années 1930 pour ériger une statue équestre à la gloire de Jeanne d'Arc à Alger, qui se trouve à l'époque en Algérie française. Le gouverneur général d'Algérie, Georges Le Beau, et le préfet du département d'Alger, Charles Bourrat, en deviennent membres en 1935[8].
En 1937, l'État passe commande de la statue à Georges Halbout du Tanney, qui vit alors sur place. En effet, après avoir été pensionnaire de la villa Abd-el-Tif de 1928 à 1930, il s'est installé à Bouzareah, sur les hauteurs d'Alger, pour enseigner la sculpture à l'École des beaux-arts tout en vivant de commandes[9].
Une fois la maquette réalisée, la famille Halbout doit rentrer en métropole[10] afin de trouver un mouleur et un fondeur pour réaliser l'œuvre[9]. Ne pouvant réintégrer l'atelier du parc Montsouris qu'il partageait avec Paul Belmondo avant de partir à Alger, Halbout s'installe à Boulogne-Billancourt. Il vit avenue de la Porte-d'Auteuil avec sa famille, et loue un grand atelier au 10 square Gutenberg, près du bois de Boulogne, où il travaille sur le cheval de Jeanne d'Arc[9]. Il réalise ainsi un modèle en terre en 1939, mais l'occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale ne lui permet d'en faire fondre qu'une partie, clandestinement, par Hohwiller, fondeur à Paris[11]. Un fragment de la statue est présenté au Salon de 1941[9].
Le bronze n'est terminé qu'après guerre[11], et il est présenté au Salon de 1946[11] ou de 1950[9] selon les sources.
La statue est expédiée à Alger en 1947[12] où elle est inaugurée le , lors de la fête de Jeanne d'Arc. Après un discours de Pierre-René Gazagne[13], maire de la ville (en)[14], un défilé militaire a lieu devant la statue[14].
Le monument est installé près de la Grande Poste, dans un des squares du boulevard Laferrière (actuel boulevard Mohamed-Khemisti[alpha 2]), à l'entrée de la rue d'Isly (actuelle rue Larbi-Ben-M'Hidi[alpha 2])[15]. La portion de la rue d'Isly sur laquelle se trouve la statue a pris en 1950 le nom de l'écrivain Charles Péguy (actuelle rue Émir-Abdelkrim-El-Khattabi[alpha 2]), probablement en lien avec ses œuvres Jeanne d'Arc et Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc[16].
La statue fait face au monument aux morts et aux escaliers conduisant au forum du palais du gouvernement[17].
Albert Bensoussan y fait référence en 1992 dans son roman La Ville sur les eaux[18],[19], dans lequel il raconte sa jeunesse à Alger. Il évoque les partisans de l'Action française, mouvement royaliste d'extrême droite, qui se réunissaient sous la statue :
« Mes camarades du lycée Gautier (Émile-Félix, autre chien de garde) étaient royalistes en diable et sous la statue de Jeanne d'Arc, place Laferrière, où se tenaient les camelots et leurs journaux choisis (Aspects de la France, Rivarol, qu'est-ce que j'en sais ?), bien souvent il nous fut imposé de faire le coup de poing. »
En 1954, peu de temps après l'inauguration de la statue, la guerre d'Algérie éclate. Après un lourd bilan humain, elle aboutit à l'indépendance du pays en .
Dans les premières semaines de l'indépendance, la statue reste intacte. En effet, Jeanne d'Arc ayant repoussé les Anglais à Orléans pendant la guerre de Cent Ans, les manifestants algériens reconnaissent en elle un symbole de résistance contre l'impérialisme[20],[21]. Tout au plus se la réapproprient-ils en l'« algérianisant » symboliquement[22].
Ainsi le , jour où la France reconnaît l'indépendance, un drapeau du FLN (futur drapeau de l'Algérie) est accroché à l'épée[20]. Le lendemain, la statue est recouverte d'un tissu blanc, interprété selon les sources comme un haïk[20], vêtement traditionnel algérien, ou un keffieh[23], coiffe traditionnelle arabe.
Puis un panneau est attaché au cheval, sur lequel est inscrit le nom d'Hassiba Ben Bouali, militante du FLN condamnée à mort par contumace en 1957[20]. Tuée pendant la bataille d'Alger dans le dynamitage de sa cache à la casbah, elle est considérée comme une chahida (martyre), à l'instar de Jeanne d'Arc, morte sur le bûcher au même âge (19 ans)[24],[alpha 3].
Néanmoins, Jeanne d'Arc reste un symbole de la France, si bien que sa statue finit tout de même par être endommagée, un mois plus tard. En effet le , lorsqu'Ahmed Ben Bella rentre à Alger accueilli par la foule sur fond de crise de l'été 1962, la nuit qui suit voit les manifestants détériorer les monuments français, dont la statue de Jeanne d'Arc. À environ 4 h du matin, ils l'attachent à des voitures pour la renverser, avant d'en couper la tête, ainsi que le bras droit car l'épée qu'elle tient symbolise une croix chrétienne[20].
Dans la nuit du au , la statue est mise à l'abri dans un entrepôt de l'armée française par des militaires du génie[20]. Le général de division Le Masson, commandant le 23e corps d'armée, décrit l'état de la statue dans une lettre du au commandant supérieur des forces armées françaises en Algérie, le général de corps d'armée Michel de Brébisson[25] :
« socle tordu et inutilisable – patte arrière droite du cheval cassée à hauteur du sabot / cuisse arrière gauche du cheval fêlée / manque la tête et le bras droit de Jeanne d'Arc / jambe droite de Jeanne d'Arc cassée / pointe fourreau épée cassée »
En raison des troubles de l'indépendance, la décision est prise de rapatrier la statue en France, comme de nombreux autres monuments construits par la France en Algérie[26],[27].
Caen est intéressée par cette statue car son sculpteur, Halbout, a été professeur à l'école des beaux-arts de Caen[28], et lui-même souhaite que sa statue soit attribuée à Caen[29]. Mais Vaucouleurs, qui s'est vu initialement attribuer une autre statue équestre de Jeanne d'Arc, celle d'Oran sculptée par Joseph Ebstein, demande et obtient celle d'Halbout, tandis que Caen reçoit celle d'Ebstein[30].
En , la statue est embarquée à Fort-de-l'Eau (actuel Bordj El Kiffan[alpha 2]) dans une barge de débarquement de type LCT[20]. À cette occasion, une erreur de manipulation lors de l'opération de grutage manque de la faire couler, et l'endommage encore davantage[20]. Le LCT l'emmène ensuite jusqu'au port d'Alger où elle est embarquée dans le Sidi-Ferruch, un cargo moutonnier qui lui fait traverser la Méditerranée jusqu'à Marseille où elle arrive le [20]. Elle y reste au moins jusqu'en [28].
La statue est ensuite réparée par les soins du syndicat d'initiative de Vaucouleurs, à la fonderie Durenne de Sommevoire[5],[31],[32],[33], où elle est transportée gratuitement depuis Marseille par Danzas, un transporteur de Nancy[12] qui a connu la statue à Alger[33]. Les travaux effectués vont au-delà d'une simple restauration : certaines parties sont refondues à partir du modèle ayant servi à l'édition originale, modèle qui a été conservé soit par le sculpteur[33],[12], soit par la fonderie[34], selon les sources.
Le monument est installé sur le parvis de l'hôtel de ville de Vaucouleurs, place Achille-François, à hauteur du 17 rue Jeanne-d'Arc[35]. Il vient ainsi accompagner un musée johannique fondé en 1952[36] dans l'aile droite de l'hôtel de ville[5].
L'inauguration à ce nouvel emplacement a lieu le , en présence notamment de Pierre Messmer, ministre des Armées[13],[33]. Cette date est choisie car c'est le jour de la fête de Jeanne d'Arc, comme en 1951 à Alger, mais aussi car elle coïncide avec les fêtes du bicentenaire du rattachement du duché de Lorraine à la France[37] et du sixième centenaire du rattachement de la ville de Vaucouleurs à la couronne de France[38].
Il s'agit d'une statue équestre en bronze de 2,5 tonnes[31]. Jeanne d'Arc y est représentée en armure, avec poulaines et gantelets[11]. Elle brandit une épée nue de sa main droite, en la tenant par la lame, de sorte que la poignée et la garde forment une croix chrétienne.
Sur le socle en bronze[31] se trouve la signature : « Halbout / sculp. 1939 »[39].
Sur le piédestal à Alger, une plaque indiquait : « Monument élevé / par souscription publique / à la gloire / de / Jeanne d'Arc / pur symbole / de l'héroïsme français »[5],[40],[41].
Une reproduction de cette plaque est apposée sur le piédestal à Vaucouleurs, et en dessous se trouve l'inscription : « Statue érigée à Alger en 1951 / mutilée en 1962 / réparée par les soins / du syndicat d'initiative / de Vaucouleurs / inaugurée le »[5],[42].
La représentation en armure, sur un cheval, épée à la main, comme guidant le peuple français, est classique dans l'iconographie de Jeanne d'Arc[44].
Mais l'installation de ce monument en Algérie, en l'honneur d'une héroïne protectrice de la nation française, peut être interrogée dans un territoire étranger à cette iconographie[44]. À cet égard, le caractère fortement patriotique de l'inscription sur le piédestal, « pur symbole de l'héroïsme français », tranche avec les inscriptions habituellement portées sur les monuments en l'honneur de Jeanne d'Arc, notamment en métropole, qui préfèrent souligner ses faits d'arme et sa fonction libératrice[41]. De même, le monument est qualifié d'« incarnation la plus pure des vertus françaises » par le maire d'Alger lors de son inauguration[14],[45]. Ce monument s'éloigne donc d'une fonction commémorative, et revêt davantage une motivation politique voire de propagande, proche du colonialisme[45] : son rôle est vraisemblablement d'imposer une référence visuelle commune entre la métropole et sa colonie algérienne, dans le but de contrer le nationalisme algérien croissant — ce qui explique aussi la persistance à vouloir l'installer malgré le retard dû à la Seconde Guerre mondiale[45].
L'importance du discours porté par cette statue est démontrée par le fait qu'elle soit sauvée à l'indépendance de l'Algérie en dépit de son très mauvais état, alors que l'administration française a préconisé d'abandonner ou de détruire les monuments trop dégradés pour être transportés[46]. Par la suite, la profondeur de sa restauration occulte une partie de son histoire, et modifie le sens qui lui est donné[34], comme en témoigne la presse d'époque, qui parle de « réparer l'outrage et l'ingratitude humaine »[38], et le discours du maire de Vaucouleurs lors de son inauguration[47] :
« Votre bronze est ici en bonne et juste place. Que cette statue qui fut pour vous le symbole de la liberté nous rassemble aujourd’hui dans la même foi en notre destinée et dans le même esprit d’union nationale. »
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