La Folie de Titania est une huile sur toile, réalisée en 1897, par l'artiste toulousain Paul Gervais (1859-1944[1]) qui exposa au Salon, à partir de 1880. Elle est conservée et exposée au Musée des Augustins de Toulouse. C'est une œuvre de grand format, aux tons apaisants et enchanteurs, et dont le sujet peut surprendre, au premier abord, si la référence au Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare n'est pas connue.
Artiste | |
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Date |
1897 |
Type | |
Technique |
Huile sur toile |
Dimensions (H × L) |
350 × 520 cm |
Propriétaire |
Commune de Toulouse |
No d’inventaire | |
Localisation |
Musée des Augustins, Toulouse |
Inscriptions |
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Paul Gervais réalise cette huile sur toile en 1897 : elle est exposée au Salon des artistes français, à Paris, la même année. La Folie de Titania est payée 4 000 francs par l'État[2]. En 1905, l'État dépose l'œuvre au musée de Toulouse[3]. En 1911, un document indique que le tableau est « placé salle toulousaine au fond ». Il est définitivement transféré à la Ville de Toulouse en application de l'article 13 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, disposant que les collections appartenant à l'État mises en dépôt avant le 7 octobre 1910 dans les musées de France appartenant aux collectivités territoriales, font l'objet d'un transfert de propriété. Actuellement, l'œuvre est donc propriété du musée, sous le numéro d'inventaire 2004 1 188. Le tableau est exposé au fond du Salon rouge du Musée des Augustins. Il a été restauré par Hielniczek en 1980 : consolidation de la couche picturale par refixage à la résine synthétique et remise sur châssis à clés[4].
Au milieu de la toile, sous des cyprès engagés dans le cadre et devant un lac limité par des bois et des collines, Bottom (en), un jeune homme à tête d'âne est assis sur un banc de pierre. Des fleurs sont disposées sur sa tête — celle-ci nous apparaît de profil, tournée vers sa droite — et dans son cou. Il tient d'une main sa jambe droite, croisée sur sa jambe gauche, tandis qu'il porte sa main gauche sur sa poitrine. Il est vêtu d'un simple vêtement blanc et d'une ceinture. Titania, une jeune femme, debout et nue, entoure de ses bras la tête d'âne de Bottom, les yeux levés vers le ciel. Quatre autres femmes, également nues, la contemplent dans diverses postures : une seule est debout et les observe, à l'abri d'un cyprès, des rubans et des feuillages à la main. Deux autres, à droite, sont adossées à des arbres, tandis que la dernière, à gauche, est accroupie et touche de sa main gauche des roses qui sont au sol, tout en observant l'étrange couple. Le sol est planté de violettes et jonché de roses coupées. Le tableau est signé P. GERVAIS 1897, dans l'angle inférieur gauche[5].
Le tableau fait directement référence à la pièce intitulée Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's dream, 1594-1595), de William Shakespeare, dont la scène la plus connue est l'apparition de Bottom, qui porte une tête d'âne, avec Titania, qui, par la magie de Puck, en est tombée amoureuse :
« Titania, à Bottom — Viens que j'attache des roses musquées sur ta tête douce et lisse et que je baise tes belles longues oreilles, mon ineffable joie. Dis moi, que désires-tu manger ? »
« Bottom — Ma foi du bon foin, du foin qui embaume, rien n'est égal à ça … »[6].
La pièce se déroule dans une forêt étrange et un peu magique, le temps d'une nuit d'été ensorcelante, qui ressemble à un rêve. Obéron est le roi des elfes et Titania la reine des fées, tandis que Bottom est un simple tisserand. Thésée (duc d'Athènes) et Hippolyte (reine des Amazones) doivent se marier.
Pour comprendre la scène représentée par Paul Jean Gervais, il convient de résumer les grandes lignes de l'intrigue à laquelle Obéron, Titania et Bottom prennent part :
« Obéron et Titania sont fâchés : le roi des elfes est jaloux d'un jeune page que la reine élève avec amour, or il voudrait que celui-ci devienne un de ses chevaliers (acte II, scène 1). Les deux souverains se disputent, jaloux, à propos des anciennes conquêtes de l’autre : Titania reproche à Obéron d’être à Athènes parce qu'Hippolyte doit y être mariée à Thésée. Obéron, furieux, fait remarquer à la reine des fées qu’il « sait [son] amour pour Thésée[6] ». Ces querelles ont, selon Titania, un effet catastrophique sur l'ordre de la Nature, dont elle est la protectrice. Il faut donc trouver une solution : Obéron propose qu’elle lui donne l’enfant pour qu’ils puissent se réconcilier, mais Titania refuse catégoriquement de le lui donner. Obéron décide alors de la « châtier pour cet outrage » : il envoie Puck chercher une « pensée d’amour », fleur qui reçut une flèche de Cupidon. « Son suc, étendu sur des paupières endormies, peut rendre une personne, femme ou homme, amoureuse folle de la première créature vivante qui lui apparaît[6] » : Obéron en versera sur les yeux de Titania pour, qu’une fois amoureuse, elle lui livre l'enfant. Plusieurs personnages sont ensorcelés par le suc de la fleur, ce qui fait régner le chaos dans les relations entre les différents amants. À la fin de la pièce, l'ordre sera rétabli et trois mariages seront annoncés. Le plan d'Obéron se met en place. Les fées chantent une chanson pour endormir leur reine. Obéron humidifie les paupières de Titania du suc magique (scène 2). Pendant ce temps, six artisans veulent monter une pièce de théâtre pour le mariage de leur duc (tragédie inspirée du mythe de Pyrame et Thisbé). Bottom, le tisserand, fait partie de cette pièce qui se révèle rapidement absurde et comique. Puck l'affuble d'une tête d'âne : c'est alors que s’éveille Titania. La reine tombe immédiatement sous le charme et déclare sa flamme à Bottom (c'est précisément cette scène de la pièce que Paul Jean Gervais a choisi de représenter). Titania appelle ses fées et leur ordonne d’emmener Bottom chez elle (acte III, scène 1). Puck apprend à Obéron la métamorphose qu’il a fait subir à Bottom : « C’est à ce moment-là, le hasard l’a voulu, que Titania s’est réveillée et s’est aussitôt amourachée d’un âne[6] ». Bottom, Titania et sa suite arrivent (acte IV, scène 1). L'homme à tête d'âne est choyé par la reine et ses fées (le tableau de Gervais peut aussi correspondre à cette scène puisque Bottom s’endort dans les bras de Titania). Obéron peut se réjouir : il a enfin réussi à récupérer l’enfant. Il ordonne à Puck de lever l’enchantement et il se charge lui-même de réveiller sa femme après lui avoir appliqué l’antidote. Tout rentre dans l'ordre : trois mariages sont célébrés. » Dans la pièce, la nuit est espace de fantasmes, de rêves et de désordre, alors que le jour est le temps de l'ordre et de la réalité. L'astre qu'on aperçoit dans La Folie de Titania semble donc être la lune plutôt que le soleil.
Paul Gervais est un peintre toulousain : il est tout naturel que plusieurs de ses œuvres y soient conservées. Il est aujourd'hui peu connu du grand public, mais il est, de son temps, un artiste important et reconnu. À Toulouse, il expose à l'Union artistique[2]. Il réalise, dans sa ville natale, deux panneaux et un plafond dans la Salle des Illustres, et des décors pour la Salle des mariages du Capitole. En dehors du Capitole, le Café Sion, aujourd'hui disparu, renfermait un important décor de Paul Gervais (Fête en l'honneur de Bacchus et d'Ariane, 1901 : Paysage avec nymphes et satyres, L'Initiation, Cortège Bacchique)[2]. Les trois scènes étaient liées par un paysage de côte rocheuse, à l'arrière plan. En 1895, Maria de Padilla est acheté par l'État et attribué au Musée de Toulouse, avec La Folie de Titania (en dépôt). En 1926, la Municipalité toulousaine lui commande le Retour des moissons, installé au foyer du Théâtre, en août. Fécondité (1927) est de même envoyé au Musée des Augustins. Les toiles qui ont été démarouflées et roulées au moment de la destruction du Café Sion sont désormais conservées au Musée des Augustins[2]. Autres tableaux (huiles sur toile) qui y sont actuellement conservés avec La Folie de Titania (mais non exposés)[4] :
Paul Gervais n'est pas le seul artiste à choisir pour sujet l'amour magique qui unit la reine des fées au tisserand métamorphosé en âne. Le dossier d'œuvres du Musée des Augustins fait référence à l'œuvre d'Edmond Tapissier intitulée Titania et réalisée en 1898, soit un an après La Folie de Titania de Gervais. Dans ce tableau, Bottom est intégralement transformé en âne. Titania lui tient la tête et les fées dansent dans les airs[9]. Le sujet semble ainsi plaire aux artistes français de la fin du XIXe siècle, mais les scènes tirées du Songe d'une nuit d'été plaisent depuis bien plus longtemps, car elles permettent le déploiement d'un imaginaire féerique et enchanteur qui sert de base à la libération de l'imagination des artistes. Des peintres tels que John Anster Fitzgerald, justement surnommé Fairy Fitzgerald (littéralement : Fitzgerald féerique) se sont ainsi emparés de ce sujet.
Déjà, en 1790, Henri Fuseli réalise un tableau intitulé Titania and Bottom, conservé au musée Tate Britain, à Londres. L'artiste y déploie un imaginaire onirique sombre et inquiétant peuplé de créatures étranges dont s'éloigne largement l'atmosphère paisible et féerique du tableau de Paul Jean Gervais. Les œuvres peintes et sculptées s'inspirant de ce sujet sont extrêmement nombreuses, c'est pourquoi Paul Gervais ne fait pas preuve d'une très grande originalité en choisissant de représenter la rencontre entre Titania et Bottom : il s'inscrit au contraire dans une longue tradition. Néanmoins, cela ne l'empêche pas de donner une vision toute personnelle de la scène, qui s'éloigne notamment d’œuvres plus inquiétantes telles que Titania and Bottom de l'artiste Edwin Landseer (1848), par exemple. Le sujet, s'il est peu original, semble inépuisable en ce qu'il peut susciter une multitude d'interprétations picturales. Encore aujourd'hui, il plaît : des travaux photographiques sont par exemple réalisés sur le thème[10].