Herman Braun-Vega est un artiste peintre franco-péruvien né le à Lima, Pérou, et mort à Paris le [1],[2].
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Si son œuvre a toujours été figurative, elle fut d’abord (avant 1970) proche de l’abstraction. Elle connaît un tournant décisif lorsque l’artiste vient s’installer définitivement à Paris en 1968. Au contact des œuvres des grands maîtres de la peinture, Braun-Vega développera l’art de la citation picturale. Il décide de ne pas limiter sa peinture à une recherche esthétique, mais d'adopter un langage pictural clair accessible à des non spécialistes même si ses œuvres présentent souvent plusieurs niveaux de lecture. Sa peinture enrichie de références à l’histoire de l’art[3], met souvent en scène des personnages, des paysages, des fruits et légumes de son Pérou natal. Il affirme ses origines métissées à travers une œuvre syncrétique souvent très colorée, parsemée de messages politiques à travers notamment des transferts de coupures de presse. Certains le diront engagé. L’artiste qui s’était fixé pour ligne de conduite de ne pas peindre pour ne rien dire, se définit plutôt comme un témoin qui veut activer la mémoire du spectateur. Sa production artistique s'inscrit dans les tendances de la nouvelle figuration[4] et de la figuration narrative[5].
Herman Braun est le deuxième fils de Francisco Braun Weisbrod, juif austro-hongrois né en 1902 dans la ville de Stuhlweissenberg (Hongrie) et d’Armida Vega Noriega, péruvienne orthodoxe, métisse espagnole et indienne, originaire d’Iquitos (Pérou). Ses origines métissées tiendront un rôle de premier plan dans son œuvre. Son frère aîné, Max, sera le premier à vouloir devenir peintre. Ses autres frères et sœur, ont tous une inclination pour les arts graphiques (Herbert (dit Berti), architecte-urbaniste; Alex, décorateur; Aurora, peintre et dessinatrice)
En 1950 il devient l’élève de Carlos Quizpez Asín à l’école des beaux-arts de Lima[6]. Mais dès la fin de l’année 1951, il rejoint à Paris son frère Max, devenu le peintre Fernando Vega[7]. Présenté par son frère au poète Jean Sénac, il baigne dès son arrivée dans le milieu artistique parisien d'une façon privilégiée en tant que résident de l'hôtel du Vieux-Colombier, alors géré par Maria Manton et Louis Nallard. A Paris, il a pour la première fois l’occasion de voir des œuvres originales de grands maîtres qu’il ne connaissait jusqu’alors qu’à travers des reproductions. À partir de ce moment il poursuivra sa formation en autodidacte, au contact d’autres artistes, et en étudiant les œuvres des grands maîtres de la peinture dans les musées.
En 1952, d’une liaison passagère avec une jeune française, Camille Mülder, modèle du photographe Albert Monier fréquentant assidûment Saint-Germain-des-Prés, naît son fils Eric. Il met alors entre parenthèses sa vocation d’artiste peintre et travaille au service de Jean Royère pour le compte duquel il se retrouve chargé d’ouvrir une agence de décoration au Pérou. En 1955, emmenant son fils, il retourne à Lima ou il s’associe à l’architecte Juan Günther Doering pour fonder cette agence. Mais bientôt, en dépit du succès de l’entreprise, l’envie de peindre se fait à nouveau sentir. A Lima, il rencontre Nicole Boussel, jeune mère de deux enfants blonds. La famille recomposée qu’il forme avec son fils , Nicole et ses deux garçons sera une source d’inspiration récurrente dans les années 63 à 66[8].
Mais c’est seul avec son fils qu’il retourne vivre à Paris en 1967. Il y rencontre Lisbeth Schaudinn, jeune allemande, fonctionnaire de l’UNESCO, qui deviendra la femme de sa vie. C’est avec elle qu’il découvre en 1968, en visitant le musée Picasso de Barcelone, la série que le maître a consacré aux ménines de Vélasquez. Cette découverte marquera un tournant décisif dans son œuvre. Lisbeth, sa femme, son modèle[9], apporte à Herman un soutien logistique qui lui permet de se consacrer entièrement à son art. Résidant à Paris, il n’en oublie pas pour autant le Pérou et fait de nombreux aller-retour à Lima. La presse péruvienne se fait très vite l’écho du succès de l’enfant du pays auprès de la critique parisienne[10]. Il expose à Paris, Lima, New-York, Bruxelles... Dans les années 1970, d’expositions en expositions, il développe de nouvelles techniques, de nouveaux thèmes qui reviendrons enrichir ses futures œuvres. Il voyage beaucoup et ses aller-retour au Pérou son si fréquents qu’il s’y fait construire une maison. À partir des années 1980, son œuvre ressemble à sa vie, partagée entre la culture européenne et ses origines latino-américaines.
En 1999, lassé de faire des aller-retours quotidiens entre son appartement de la rue des Apennins et son atelier de Saint-Denis, il décide de tout vendre pour acheter à Arcueil, non loin de la maison de son ami Antonio Segui et de l’atelier de son ami Vladimir Velickovic, une ancienne usine qu’il transforme pour y installer à la fois sa résidence et son atelier[11]. Malgré l’ampleur du projet dont il dessine lui-même l’architecture, le rythme de sa production artistique ne faiblit pas. Mais les ennuis de santé commencent. En 2009, sa femme Lisbeth est emportée par la maladie. Après cet épisode douloureux, Il finira par retrouver une compagne beaucoup plus jeune que lui, Violette Wojcik, une admiratrice enthousiaste, qui se découvre atteinte d’une leucémie quelques mois seulement après leur rencontre. Lui même atteint de la maladie de Parkinson il achève péniblement ses derniers tableaux en 2014. Dévasté par la perte de Violette en 2016, son état de santé ne lui permet pas d’assister aux funérailles. Malgré tout il se montre déterminé et affirme avoir son prochain tableau en tête, mais il ne peindra plus jusqu’à sa mort le 2 avril 2019.
Le jeune Herman Braun pratique une peinture qui intègre parfaitement les leçons de l’art moderne[12] et qui se nourrit de certains de ses mouvements comme le cubisme (Naturaleza muerta con botella de tinto, 1949) où l’impressionnisme (Platanales, 1951) qui le gardent éloigné de toute tentation d’une représentation photographique. On trouve dans sa production des traces de son premier séjour à Paris (La Seine, 1952) . Mais l’essentiel de l’œuvre de cette période est produit à Lima à partir de 1963. Il adopte très vite une technique très gestuelle et très libre. Si libre que sa figuration frôle l’abstraction (Nature morte au bougeoir, 1960; La jaula 1963). Mais bientôt les considérations purement esthétiques (Palomas en vuelo, 1963) ne lui suffisent plus, il a aussi besoin de s’exprimer à travers sa peinture.
Ainsi il lui arrive de donner la parole à certains de ses personnages (Adam et Eve, 1965; Encuentro en el campo, 1965), où de découper son tableau en cases à la manière d’une planche de bande dessinée afin d’y insérer un contenu narratif (El artista y su modelo, 1968)[9].
En 1966, il réalise de son frère Max, le peintre Fernando Vega brutalement disparu à Ibiza à l’age de 33 ans d’un arrêt cardiaque lié à une overdose, un portrait déchirant de douleur. Le visage de son frère est encadré, en grosses lettres, par la mention « MI HERMANO MAX » (« mon frère Max » en espagnol) . L’irrégularité de ces lettres et des coups de pinceau qui composent le portrait trahissent le mouvement de colère. A l’endroit du cœur, un déchirement laisse apparaître les lettres du lieu du drame : IBIZA. Si ce tableau reste singulier dans l’émotion qu’il exprime, il est particulièrement représentatif d’une peinture fougueuse, vigoureuse, portée par l’émotion, guidée par l’intuition. Mais c’est aussi une peinture qui parle, qui témoigne (dans le cas présent, d’un drame personnel).
En faisant parler sa peinture, il révèle également un humour très personnel. Ainsi dans sa version de l’Annonciation (La anunciación, 1966), l’ange Gabriel demande « Est-tu vierge ? » (« Eres virgen ? » en espagnol) et Marie lui répond « Pas encore » (« todavia no » en espagnol).
L’effet narratif obtenu en découpant son tableau en cases (La mort d'un pompier, 1969) , il l’obtient de même en produisant un polyptyque (Bodegón, 1967) ou chaque panneau correspond à la case d’une planche de bande dessinée. C’est ainsi qu’en mai 1968, il produit un triptyque (Liberté ? Égalité ? Fraternité ?) qui pour la première fois dans son œuvre témoigne d’un événement de l’actualité de son époque.
En juin 1992, dans un entretien avec Eduardo Arroyo et Jorge Semprun, Braun-Vega déclare « Picasso est mon père, il m'a fait comme je suis. Vélasquez est mon maître, il m'a formé en tant que peintre ». C’est en effet à Picasso qu’il doit la grande métamorphose qui commence dans son œuvre à partir de 1968 et qui aboutit au début des années 1980. Il l’explique de la manière suivante : « Faire mienne l'œuvre des autres, c'est la grande leçon que m'a donnée Picasso ». Et c’est en effet en découvrant La série des Ménines au musée Picasso de Barcelone en 1968 qu’il réalise qu’il ne faut pas craindre de s’approprier l’œuvre des autres.
De sorte que dès son retour à Paris, se lançant à lui même un défi, il exécute, en deux mois et demi comme Picasso (mais sans l'imiter), une série de tableaux intitulée « Vélasquez mis à nu accompagné des ménines en cinquante-trois tableaux. ». Il s’agit d’une étude cinématique ("une sorte de dessin animé") aux lumières latérales vives et aux couleurs contrastées, des instants qui ont supposément précédés la mise en place des personnages dans la pose du fameux tableau de Vélasquez. Herman Braun reprend la technique du polyptyque expérimentée les années précédentes pour obtenir l’effet narratif voulu. Il expose à Paris à la galerie 9. La critique parisienne est séduite. Claude Bouyeure, pour la Galerie des Arts, juge l’ « Exercice de style réussi ». Suzanne TENAND, pour la Tribune des Nations, y voit « des peintures pleines d'esprit, d'entrain et de talent ». Paule GAUTHIER, pour Les Lettres françaises, reste « confondue devant la justesse du système de Braun ». Jean-Jacques Lévêque, dans Les Nouvelles littéraires, y voit la preuve « qu’un grand avenir est encore possible pour la ‘surface peinte’ » et salue, dans Le Nouveau Journal « une étonnante virtuosité dans la perspective de mise en page et d'animation propres à la figuration narrative ». Carold Cutler, Herald Tribune, remarque « Une performance époustouflante ». Frédéric Megret, Le Figaro Littéraire, trouve le « peintre captivant ». Monique Dittière, L'Aurore, salut « une grande audace » et un pari « gagné ». Philippe Caloni, Combat, résume « Sur le fond, grande intelligence. Sur la forme, maîtrise parfaite »[13]. Le principal multiptyque de la série, composé de 17 panneaux est exposé au Musée d'Antioquia, à Medellín, en Colombie, dans la collection Coltejer.
Après avoir été inspiré par Picasso pour étudier Vélasquez, c’est à présent Picasso lui-même qu’il étudie et son rapport à Manet , avec une nouvelle exposition à la galerie 9, intitulée « Pour l’amour de l’art » où l’on voit, dans une série pleine d’humour (comme le rapporte Le Figaro) intitulée « Picasso dans un déjeuner sur l’herbe », Picasso exprimer son amour des femmes en prenant la place de l’un des personnages du déjeuner sur l’herbe . Ce qui conduit John Canaday à qualifier cette série de « sérieusement hilarante » dans un article du New York Times. On y décèle pour autant "ni ironie ni agressivité" mais plutôt "une volonté de montrer le processus évolutif de l'art". Cette série lui vaut d'être qualifié de "virtuose avec un goût pour le pastiche" dans le International Herald Tribune. Braun se livre pour la première fois à la pratique de la citation picturale en reproduisant certains éléments des tableaux de Picasso dans ses propres œuvres comme le miroir de « la jeune fille devant un miroir » dans son tableau « Picasso dans la baignoire », ou même un tableau entier comme « la casserole émaillée » dans son diptyque « Picasso à Mougin ». La critique apprécie. Xavière GAETAN, pour La Galerie des Arts, trouve « remarquable [...] l'hommage, plein d'amour, rendu à Picasso ». Quant à Monique DITTIERE, L'aurore, au regard de cette exposition voit en Braun « Un jeune chef de file de la Nouvelle Figuration ». Le tableau « les invités sur l’herbe » , sorte de synthèse entre sa série « Vélasquez mis à nu accompagné des ménines » et la série « Picasso dans un déjeuner sur l’herbe » rejoint dès la fin de l’année 1970 la collection du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris[14].
De son étude de Cézanne résulte un grand triptyque dont chaque panneau rempli encore une fois la fonction d’une case de planche de bande dessinée. Dans ce triptyque, Braun établit un rapprochement entre la pomme d’Adam et Ève et les pommes des natures mortes de Cézanne, plaçant ce dernier dans un rôle de « père créateur », faisant un parallèle entre la création au sens biblique et la création artistique. Chaque panneau du triptyque représente le même intérieur à différentes étapes de la narration. Accroché au mur se trouve reproduite une nature morte aux pommes de Cézanne. La fenêtre laisse apparaître un paysage de la montagne Sainte-Victoire, une autre œuvre de Cézanne. Ces deux œuvres subiront des transformations d’un panneau à l’autre, renforçant ainsi l’effet narratif de l’ensemble. Braun avait déjà mis un tableau dans un tableau dans son « Picasso à Mougin ». Ce qui est nouveau ici, c’est l’utilisation d’une fenêtre, d’une ouverture, pour laisser apparaître un paysage, une autre manière d’insérer un tableau dans le tableau. C’est quelque chose qu’il utilisera beaucoup quand il sera devenu Braun-Vega et qui n’est sans doute pas étranger au choix du titre « Fenêtres d’art, d’âme et de vie » par le critique d’art Christian Noorbeergen pour la dernière exposition organisée du vivant de l’artiste à la maison de l’UNESCO à Paris en 2018[15].
Dans sa série sur le Bain Turc, Braun analyse les influences plastiques et esthétiques de l’œuvre d’Ingres dans certaines tendances de l'art contemporain (abstraction géométrique, hyper-réalisme). Cette série, destinée à être exposée à la Galerie Lerner-Heller à New-York s’intitule « Le bain turc à New-York » . C’est la première fois qu’il fait dans un de ses tableaux (« Ingres et ses modèles à Manhattan » ) un clin d’œil à la ville qui accueille son exposition, mais pas la dernière... Il y a d’ailleurs beaucoup de premières fois dans cette série, ce qui explique peut être ce commentaire de Picture on exhibit qui salut le « tour de force » que représentent ces variations autour du « bain turc » allant du simple dessin jusqu’à l’utilisation des techniques les plus diverses. En effet parmi les techniques expérimentées par Braun dans cette série, on trouve les cadres en bois polychromes qui font partie intégralement de l’œuvre, débordant sur celle-ci et contribuant à sa mise en scène, technique qu’il réutilisera abondamment dans les années 90, mais aussi des effets de trompe-l-œil qu’il développera en particulier dans sa série suivante sur Poussin. On notera en particulier l’apparition, en contre-point, du quotidien politique et social contemporain, par l’intégration de coupures de presse. Le quotidien péruvien El Comercio qui se fait l’echo des bonnes critiques de la presse spécialisée de New York, rapporte en particulier que William D. Case estime que, contrairement à un grand nombre d’artistes sud américains qui ont pour travers la négligence et la caricature, Braun surmonte les deux « en équilibrant une exécution spontanée avec un bonne dose de planification et en développant la caricature à un degré comparable à celui de Picasso ou Bacon ».
Depuis la dynamique entamée en 1968 après la découverte des ménines de Picasso, Braun n’a jamais cessé tout en étudiant les grands maîtres de la peinture d’expérimenter de nouvelles techniques qui à chaque fois viennent augmenter son bagage. Il est maintenant présenté comme le peintre qui a fait de la peinture le sujet de sa peinture. Toutefois il explique sa motivation profonde dans l’entretien à l’atelier avec Jorge Semprun et Eduardo Arroyo : « Vers les années soixante-sept, soixante-huit, j'ai traversé une crise, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle je peignais comme je peignais alors, c'était une peinture confidentielle, pour des spécialistes. Le grand public n'y avait pas accès [...]. C'est de là qu'est venu ce besoin que j'ai ressenti de clarté formelle et conceptuelle [...] . Je me suis soumis à la discipline la plus orthodoxe possible du langage visuel. » et c’est avec la série de tableaux intitulée L’ENLÈVEMENT DES SABINES D’APRÈS POUSSIN, une étude technique et iconographique du tableau "L'enlèvement des Sabines" du Musée du Louvre, que devient parfaitement évidente l’acquisition de cette clarté du langage pictural recherchée par Braun.
Dans cette série dont la facture froide et efficace "à la Poussin", est baignée d’une chromatique chaleureuse, Braun porte un regard ironique sur notre « culture de la consommation » en insérant en trompe l’oeil des objets de consommation courante. Mais surtout , en insérant des coupures de presse comme des indices pour déchiffrer sa composition, il mêle à la violence de l’agression de civils par des militaires que représente le tableau de Poussin , la violence d’évènements de son époque comme le coup d’État contre Allende au Chili, ou l’attentat du drugstore de Saint-Germain à Paris. Dans d’autres tableaux, Il se fait aussi le témoin de la situation politique, économique et sociale en France. Marie-Claude VOLFIN, pour Les Nouvelles Littéraires, fait remarquer que « Contrairement au propos d'Equipo Cronica qui cherche à démystifier la notion de chef-d'œuvre, il n'y a pas parodie dans l'excellent travail d'Herman Braun mais un transfert de valeurs ». En effet, Monique DITTIERE, pour l’Aurore, souligne que l’étude des anciens pour Braun, une fois encore, n’est qu’un prétexte pour « démontrer d'abord la continuité dans l'art ». Issu de cette série, le tableau « Poussin au quartier de porc » rejoint la collection du Fonds National d’Art Contemporain[16].
Poursuivant son exploration des grands maîtres de la peinture, Braun étudie l’œuvre graphique de Rembrandt au Louvre et au Rijksmuseum. A Amsterdam, il étudie également Vermeer et Hals. Alors que depuis 1966 il a choisi de peindre à l’acrylique qui convient mieux à son rythme de travail plutôt qu’à l’huile qu’il a très vite abandonnée, il centre cette fois son travail sur des techniques complètement différentes. La production d’estampes n’est pas nouvelle pour lui, mais sur les 2 séries qu’il réalise à cette occasion, la première, un Album de sept estampes (technique mixte gravure sur cuivre et sérigraphie) dont le titre AGRESSIONS... MUTILATIONS... ET FAUX (REMBRAUN) est motivé par une réflexion sur les falsifications qui affectent la diffusion de la gravure, est réalisée en collaboration avec Rigmor Poenaru, Henri Patez, Baldomero Pestana et Alain Jouffroy qui en écrit le texte de présentation. La seconde est une série de tableaux en technique mixte (aquarelle, crayon, collage et spray sur plexiglas) intitulée LE PORTRAIT DES CHOSES. Si la technique ne sera pas réutilisée dans ses œuvres futures, les natures mortes, en revanche, tiendront un rôle considérable dans ce qui deviendra sa thématique récurrente « le syncrétisme culturel ». Avec son album d’estampe, Braun confirme un fort parti pris politique qui suscite l’intérêt de Rouge, quotidien de la Ligue communiste révolutionnaire. Il y établi pour la première fois un parallèle entre la leçon d’anatomie de Rembrandt et la photo du Che mort, qu’il reprendra quelques années plus tard dans sa « leçon à la campagne ». Braun confirme ce qui était déjà apparu clairement dans sa série Poussin : pour lui, le pastiche est aussi un moyen de faire une critique de la réalité. Le Museo Nacional de Artes Visuales à Montevideo (Uruguay) possède un exemplaire complet de l'album de sept estampes[17].
À partir de 1978, Herman Braun-Vega commence à peindre des portraits, notamment ceux de ses amis peintres qu'il invite à participer à la gestation des tableaux : Vladimir Veličković et Baldomero Pestana en 1978, Wifredo Lam (collection du Fonds National D'Art Contemporain[18]), Gilles Aillaud et Eduardo Arroyo en 1979, Erró en 1978-1982, Jean Dewasne en 1982, S. William Hayter en 1983, Gérard Fromanger en 1984. Il peint aussi plusieurs écrivains : Alain Jouffroy, Jorge Semprún, Ribeyro[19], Alfredo Bryce Echenique, Jean-Michel Ribes. C’est à cette époque qu’il prend conscience de l’intérêt de la photographie pour son travail après avoir infligé à son ami Julio Ramón Ribeyro de longues séances de pose.
Il avait déjà réalisé les portraits du photographe José Casals et de l'écrivain Pablo Neruda en 1965, mais il s’agissait de portraits très stylisés. Cette fois, poursuivant son objectif de clarté du langage pictural, Braun réalise des portraits « criants de vérité », entre réalisme et hyper-réalisme. Cependant au delà de la « virtuosité du peintre », Maïten Bouisset, dans Le Matin de Paris, souligne que l’intérêt de ces portraits réside dans la collaboration entre le peintre et le modèle de sorte que ces portraits ne se résument pas à la restitution de l’aspect physique du modèle mais lèvent également le voile sur sa psychologie, son environnement, ses goûts, son histoire, son activité, etc.... Ainsi, Arroyo compose avec des objets personnels la nature morte qui est sur la table devant lui, tandis que Fromanger peint directement sur son portrait les confettis de couleur qui s’échappent du journal. Pendant 2 ans Braun se consacre presque exclusivement à la réalisation de portraits, puis continuera à en faire occasionnellement jusqu’en 2014 avec le portrait de Gilles Ghez.
Si on peut voir une forme de syncrétisme dans ses portraits parce qu’ils résultent d’échanges avec ses contemporains, c’est dans l’exposition de 1981 à Lima que la thématique récurrente du métissage et du syncrétisme culturel s’ancre définitivement et ostensiblement dans son œuvre. Les œuvres présentées dans cette exposition témoignent de l’aboutissement de la métamorphose du peintre (« J’ai travaillé 12 ans pour préparer cette exposition »[20] confie-t-il à La Prensa). On y trouve presque tous les éléments si caractéristiques de son œuvre à venir :
L’appropriation de l’œuvre d’un grand maître n’a plus pour objet de commenter l’œuvre (« On pourrait parler [...] de métapeinture, [...] mais cette définition est réductrice si l’on tient compte de l’évolution de son œuvre. » Julio Ramón Ribeyro) comme c’était le cas avec la série Vélasquez mis à nu, mais de servir un autre message comme on peut le faire en littérature avec une citation. On peut maintenant parler de citations picturales. Ces dernières se trouvent confrontées à des personnages, paysages, objets contemporains souvent latino-américains, créant ainsi un contraste de temps et de lieu. Cette confrontation fonctionne soit par analogie comme dans Bonjour Monsieur Poussin où la présence d’un char dans les rues d’une ville et l’enlèvement des sabines de Poussin représentent tous deux des agressions militaires envers des civils[21], soit par opposition comme dans "Buenos dias Vermeer" où l’univers feutré de la Jeune Femme à l'aiguière de Vermeer se retrouve face à une atmosphère de bidonville sud-américain.
A partir de 1981 apparaissent, dans certaines de ses œuvres, les points cardinaux Nord et Sud, parfois discrètement, comme sur le papier que tient à la main le pape Innocent X de Vélasquez dans le tableau I love the neutron bomb[22], ou comme dans le tableau Buenos dias Vermeer[23], sous forme de graffiti sur la tranche du mur séparant l’univers de Vermeer de l’univers latino-américain, parfois de façon beaucoup plus évidente avec des lettres rouges comme sur le dessin Nord-sud de la collection FRAC Normandie Caen[24], ou comme sur les dessins Le bain... d'après Ingres I[25] et Le bain... d'après Ingres II[26]. Dans ces trois derniers dessins, l’axe Nord-Sud sépare symboliquement les personnages d’Ingres, personnifiant le Nord, et jouissant des plaisirs du bain, des personnages contemporains sud-américains qui pendant ce temps s’affairent aux tâches ménagères. Ainsi ces dessins sont des allégories de la relation Nord-Sud ou les pays du Nord jouissent du dur labeur des pays du Sud. Cet usage de la confrontation de personnages tirés de la peinture occidentale et de personnages de la réalité quotidienne du peintre pour symboliser les relations Nord-Sud devient récurrente. C’est une clé de lecture possible de certaines de ses œuvres, même si ces dernières ne montrent pas explicitement les points cardinaux Nord et Sud, comme c’est le cas du tableau Les tricheurs (d’après de La Tour)[27], dans lequel la servante du tableau Le tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour est remplacée par une paysanne péruvienne symbolisant la servitude des pays du Tiers-Monde vis à vis des pays riches, les tricheurs autour de la table. De cette façon, le peintre livre un témoignage ironique et critique sur son époque[28].
Car Braun à travers son art revendique être un témoin actif de son époque quelle que soit la technique utilisée. Et pour lui, l’exploration d’une nouvelle technique doit être l’occasion de produire un nouvel effet plastique. En 1982, mettant très provisoirement de coté son art de la citation picturale pour se concentrer exclusivement à la dimension testimoniale de son œuvre, il explore une technique nouvelle par laquelle il produit une série de reliefs sur papier intitulée « testimonio ». Dans cette série le mot témoignage prend un double sens. D’une part l’empreinte laissée sur le papier par les vêtements de civils sous l’effet de la presse témoigne de l’existence de l’objet. D’autre part les graphismes ajoutés évoquant le relevé d’une scène de crime se veulent le témoin des violences faites à des civils à travers le monde. Cette série est exposée à la galerie Forum à Lima accompagnée de dessins et d’estampes dans une exposition exclusivement consacrée à ses œuvres sur papier. Deux estampes retiennent particulièrement l’attention de la critique. Celles qu’il a produites en collaboration étroite avec son grand ami l’écrivain Julio Ramón Ribeyro.
« Il ne s’agissait pas seulement pour lui, de bien peindre : “encore fallait-il ne pas peindre pour ne rien dire”, selon les mots de Jean-Luc Chalumeau[2]. »
Témoin de son époque, l’art de Braun-Vega se veut aussi témoin de la mémoire historique avec la réalisation en 1983, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Bolivar, d’un diptyque intitulé "Bolivar, luz y penumbras". En 1984, à l’occasion de la 1ère biennale de la Havane, Il fait don de ce diptyque à son ami Arnold Belkin pour le Museo del Chopo dont il était le directeur.
La production artistique d’Herman Braun dont les ressorts sont désormais solidement définis se développe maintenant sur des toiles de grand format (2m × 3m) pour une exposition intitulée Paysages Mémoire au Théâtre du Rond-Point à Paris en 1984.
Désormais, comme pour acter sa métamorphose, il signe non plus HB ou Herman Braun, mais Herman Braun-Vega[29]. Au nom de son père Austro-hongrois, il accole à la manière espagnole le nom de sa mère péruvienne comme pour affirmer ses origines métissées. La thématique du métissage et du syncrétisme ainsi directement associée à l’artiste lui même restera omniprésente dans tout le reste de son œuvre.
Sensible à la capacité de Braun-Vega de restituer librement l’esprit des artistes dont il nourrit sa peinture, le critique Jean-Luc Chalumeau qui apprécie son « irréalisme flamboyant », souligne l’habileté avec laquelle il joue avec le grain de la toile écrue comme s’il s’agissait d’une couleur à part entière sur sa palette. C’est une autre caractéristique technique récurrente dans sa peinture, laissant apparaître par endroit la matière brute du support, également lorsqu’il peint sur panneau en bois.
Les huit grands format de la série « Paysages Mémoire » qu’il expose en 1985 à la 18ème biennale de Sao Paulo font de lui « la vedette de la biennale » selon les dires de la commissaire de l’exposition. Parmi ceux-ci, on peut citer Pourquoi pas eux, plaidoyer irrévérencieux pour la vulgarisation de la culture, où la Grande Odalisque d’Ingres est offerte à la curiosité des enfants (collection du musée de la ville de Maubeuge) et La leçon... à la campagne, inspiré par l’analogie entre la leçon d’anatomie de Rembrandt et la photo de la dépouille du Che (collection du Mémorial de l’Amérique latine à Sao Paulo).
Dans le prolongement de sa série Paysages Mémoire, sa nouvelle exposition en 1987 à Paris à la galerie Pascal Gabert intitulée Mémoires dénudées élargit son champ d’investigation en faisant une large place au nu. Il y avait déjà des nus dans sa série Paysages mémoire, mais ils étaient en quelque sorte imposés par les citations de ses maîtres en peinture comme le nu du déjeuner sur l’herbe de Manet ou la baigneuse d’Ingres. Cette fois il déshabille également ses contemporains. Au delà des considérations esthétiques, c’est aussi pour Braun-Vega le moyen de montrer ses contemporains dans leur diversité ethnique[30]. Il surprend le spectateur en mettant la Diane de Boucher en présence de deux métisses nues[31] et exprime ainsi, d’après Julio Ramon Ribeyro, l’émergenge d’un monde multiracial et multiculturel issu du métissage et du syncrétisme[32]. Cela n’excluant pas une certaine dose d’humour comme dans le tableau Don Alfredo ou la Venus dans la chambre rouge[33] où il représente le romancier péruvien Alfredo Bryce Echenique ajustant ses lunettes pour mieux se délecter de la vue de la Vénus au miroir de Vélasquez[34]. Et cela n’excluant pas non plus d’ajouter d’autres messages comme dans cette reprise des ménines de 1987 ou il remplace dans le miroir du fond de la pièce, les reflets du roi et de la reine, symboles à cet endroit de l’omniprésence du pouvoir, par le pape recevant Kurt Waldheim et tenant en même temps à la main le journal Libération titrant sur la condamnation de Klaus Barbie. Ce tableau intitulé Double éclairage sur occident[35] dénonce le pouvoir de l’Église d’exonérer un ancien nazi de ses fautes et en même temps représente la diversité ethnique existant dans un pays comme la France[36].
Au début des années 1990, Braun-Vega introduit dans son œuvre un grand nombre de natures mortes dans des tableaux, souvent de plus petite taille, peints sur des panneaux en bois augmentés de reliefs qui s’harmonisent avec les volumes et la perspective du tableau[37]. Ce faisant, il renoue avec cette technique qu’il avait exploré en 1972 dans sa série Le bain turc à New-York, où le cadre fait partie intégrante de l’œuvre, débordant sur celle-ci et vice versa. Mais pour autant, Braun-Vega n’abandonne pas tout ce dont il a enrichi son œuvre entre temps. Ainsi certaines de ses natures mortes entrent en dialogue avec celles de Cézanne comme dans Bodegón con piña[38] (1991) ou Nature exotique[39] (1993). Mais elles peuvent aussi être le premier plan d’un dialogue avec Toulouse-Lautrec comme dans La Factura[40] (1993), Picasso comme dans Nature tragique n°1[41], ou Goya comme dans La realidad...es asi ! N°2[42] (1992) de la collection du Musée Bertrand de Châteauroux. Dans tous les cas, ce que tient à souligner le peintre à travers ces ensembles de fruits et légumes plus ou moins exotiques, c’est que certains parmi ceux qui nous paraissent les plus familiers sont en réalité originaires d’autres continents[43]. La dimension syncrétique de ses natures mortes, il la revendique sans relâche, même bien plus tard lorsqu’il fait apparaître une nature morte au milieu d’une composition beaucoup plus vaste comme c’est le cas dans le tableau Rencontres inattendues sur le Vieux Port[44] (d'après Vélasquez)[45].
Qualifié de « maître de l'interpicturalité » par l'auteur chilien Roberto Gac[46], Braun-Vega construit son œuvre autour du syncrétisme et du métissage artistique et culturel, ethnique et politique. Il cherche à activer la mémoire du spectateur, la mémoire historique à travers l'iconographie des grands maîtres, la mémoire sociale et politique à travers l'introduction de situations contemporaines et aussi la mémoire du vécu individuel.
« Chez Braun-Vega, la virtuosité dans le métissage des styles et des thèmes aboutit à la création d'un style narratif original. »
« Braun Vega se inicio el año de 1950, estudió en la Escuela Nacional de Bellas Artes, bajo la dirección del maestro Carlos Quíspez Asín. »
« Dos muchachos limeños salieron hace dos años con rumbo al paraíso de todo artista: París.[...] Son Max y Herman Braun.[...]. Max —que ahora cambió su nombre por el de Fernando Vega, para evitar confusiones— y su hermano Herman, viven en París modestamente, sin las comodidades que disfrutaron en Lima, pero felices porque asimilan cada día algo nuevo. »
« Un joven pintor peruano, Herman Braun, está alcanzando en París inusitados elogios de crítica mediante una original idea de trabajos seriados de titulos y temas atractivos y de muy buena factura. »
« Un vaste atelier mitoyen à la maison familiale abrite le travail d'Herman Braun-Vega. C'est là que l'artiste peint. Installé à Arcueil depuis un an, il y a trouvé un lieu de travail à la mesure de ses attentes. »
« Il était donc une fois dans les années 50, un peintre qui avait intégré les leçons de l'art moderne et reconstituait le monde en autant d'objets picturaux, des objets bien entendus étrangers à la représentation figurative de ce monde puisqu'il ne faisait alors aucun doute que la peinture était aussi éloignée de la photographie que la carpe peut l'être du lapin. »
« Sur le fond, grande intelligence. Sur la forme, maîtrise parfaite, re-création sur la création. A nous qui cherchons, depuis quelque temps, la lueur fulgurante de l'esprit dans le monde misérable de l'art d'aujourd'hui, Braun pourrait bien être celui par qui l'intelligence, et la beauté, arrivent. »
« je [...] remplace la servante du tableau original, qui est une jeune paysanne française, par une femme péruvienne qui, dans notre société, remplit le même rôle : celui de la servitude. C’est donc le seul personnage péruvien qui apparaît dans le tableau. Vu qu’il rempli une double fonction : au niveau international, avec les pays riches, les tricheurs autour de la table, et la représentante du tiers monde, dont ils espèrent qu'elle continue à servir. Et au niveau national, l’autosatisfaction de nos classes privilégiées, que nous pourrions asseoir autour de cette table. »
« Je veux rappeler à travers la nudité de tous mes personnages que nous sommes dans une société où les mélanges, les brassages font partie de notre vie quotidienne. »
« Tout en appréciant leur virtuosité formelle, que peut-on lire dans ces tableaux ? A mon avis, deux choses : L'avancée à chaque fois plus visible du Tiers-Monde dans le territoire privilégié de l'Occident; et la prémonition d'une civilisation nouvelle issue de la promiscuité, du contact, du croisement, du métissage ethnique et du syncrétisme culturel. »
« Dans la parodie de [la Venus de Vélasquez] il inclut un élément humoristique de haut vol : le romancier Alfredo Bryce Echenique intéressé par "La Vénus au Miroir" et exprimant presque sa disposition à s’introduire dans le divan de la belle. »
« En el espejo del fondo, donde se refleja el poder, y supuestamente el modelo del pintor se ve el Papa recibiendo a Waldheim. El Papa tiene en sus manos un periódico, donde se ve una foto de Barbie (repito, es siempre una referencia, al poder: en este caso, el poder el la Iglesia, de exonerarle sus culpas a un nazi). Se ven además niños, uno rubio, uno mestizo. Con este cuadro quiero representar la multiracialidad que se vive hoy en día en países como Francia. »
« Et pour marquer les distances, faire jouer la lumière entre le présent et le passé, unifier la composition dans sa complexe construction, il introduit des reliefs en bois peints qui accusent les profondeurs, les perspectives, les volumes. »
« Dans sa communication avec nos ancêtres, [...] le peintre sème en pagaille humoristique, tomates et pommes de terre d'Amérique du sud, oranges d'Asie...[...] une production que nous nous sommes appropriée en oubliant au prix de quelles conquêtes elle était arrivée dans notre assiette. »
« on peut apercevoir des oranges qui viennent d'Asie, des bananes, qui viennent d'Afrique, des tomates, du maïs, des avocats et des pommes de terre, qui ont été cultivés en Amérique latine bien avant l'arrivée des Espagnols, et qui, par exemple, durant les XVIIIe et XIXe siècles, ont sauvé de la famine les populations européennes. Voilà un exemple de syncrétisme pacifique. »